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Comptes rendus

Alia Gana et Tahani Abdelhakim eds., Agricultures du Maghreb-Mashrek à l’épreuve de la crise alimentaire et des révolutions arabes

(Maghreb-Mashrek 215), 2013, 162 p.
Michel Petit

Texte intégral

Alia Gana et Tahani Abdelhakim eds., Agricultures du Maghreb-Mashrek à l’épreuve de la crise alimentaire et des révolutions arabes (Maghreb-Mashrek 215), 2013, 162 p.

1Rendre compte ici de ce dossier spécial paru dans une autre revue périodique est d’autant plus légitime que celui-ci vient combler un grand vide : en effet, depuis le début du « Printemps arabe », l’attention a trop souvent été exclusivement portée sur les événements urbains au point, par exemple, que la place Tahir du Caire est désormais connue dans le monde entier. Pourtant, les dynamiques sociales, économiques et politiques des campagnes sont tout aussi importantes, comme le montre le fait que la révolution tunisienne ait été déclenchée par l’immolation d’un vendeur de légumes à Sidi Bouzid, une ville du centre du pays, emblématique des difficultés économiques rencontrées dans les zones intérieures encore très dépendantes des activités agricoles et rurales.

2Ce numéro expose de manière très claire la problématique générale, dans un bref éditorial d’Alia Gana et dans l’introduction de l’article d’Omar Bessaoud sur l’Algérie, qui souligne la situation très spécifique de ce pays dans le contexte régional. Cette problématique tient en deux remarques principales. D’une part, les mouvements sociaux dans les zones rurales, notamment autour de l’accès au foncier, ont une longue histoire qu’il convient de retracer pour saisir la dynamique d’ensemble dans chacun des pays considérés. D’autre part, le retrait de l’État, qui s’est généralisé au cours des dernières décennies, a eu des conséquences majeures, souvent très négatives. Cependant, les situations varient considérablement d’un pays à l’autre, et le premier mérite de ce volume est de rendre compte de cette diversité, les cinq premiers articles étant consacrés à cinq expériences nationales distinctes : Algérie, Maroc, Tunisie, Liban et Syrie.

3L’article d’Alia Gana sur la Tunisie est celui qui insiste le plus sur l’importance des mouvements sociaux dans les campagnes et le rôle que ceux-ci ont joué dans les événements récents. Mais on comprend aussi, à la lecture des autres contributions, que les tensions sociales liées aux conflits fonciers jouent depuis longtemps un rôle essentiel en Syrie et en Algérie. On sait, par ailleurs, qu’il en est de même en Égypte – pays malheureusement absent du sommaire – et au Maroc. Pour le Liban, Pierre Blanc montre que la guerre civile des années 1975-1990 est intimement liée à l’évolution de l’agriculture, comme l’illustre par exemple le développement, dans le nord de la Békaa, de cultures illicites comme le cannabis et le pavot, avec tout ce que cela implique.

4Le deuxième point sur les effets du retrait de l’État est plus difficile à cerner. La lecture des articles révèle les réticences intellectuelles des auteurs vis-à-vis des thèses libérales. Ceux-ci soulignent que les politiques de libéralisation renforcent le pouvoir des « intermédiaires » et des autres agents économiques aux dépens des agriculteurs, partout mal organisés. En outre et surtout, l’ouverture aux marchés extérieurs « se solde par des déficits accrus de la balance agricole et une aggravation de la dépendance alimentaire ».

5Ce point de vue est exprimé avec vigueur par Najib Akesbi à propos du Maroc. Cependant, il doit être largement nuancé selon les pays. Par exemple, s’agissant de la Syrie, Myriam Ababsa montre que la détérioration de la balance commerciale agricole au cours des années 2000 est principalement due à la combinaison de grandes sécheresses et de réformes foncières, d’inspiration libérale peut-être, mais sans réel souci d’ouverture commerciale. Dans le cas de l’Algérie, il ressort de l’article d’Omar Bessaoud que ce sont les conditions macroéconomiques qui ont dicté les politiques publiques de ce pays, soumis, dans les années 1990, à un ajustement structurel en raison de la diminution des recettes de ses exportations pétrolières avant de « relancer les interventions publiques » en faveur de l’agriculture et du monde rural dans les années 2000, lorsque les recettes pétrolières ont de nouveau été abondantes.

6Ces quelques exemples illustrent la complexité des problèmes agricoles et ruraux auxquels les pays arabes sont confrontés. Ne pouvant entrer ici dans le détail des analyses et pistes de réflexion proposées par les différents auteurs, nous ne saurions que trop inviter à la lecture de l’ensemble de l’ouvrage.

7Deux réserves doivent cependant être mentionnées. En matière de transformations sociales, les auteurs ont raison de nous inciter à considérer toutes les dynamiques à l’œuvre dans les zones rurales, et, surtout, les conflits qu’elles suscitent. Toutefois, les solutions qu’ils suggèrent ne sont souvent pas assez claires pour être convaincantes. Cela est particulièrement évident dans le cas des conflits fonciers liés à l’urbanisation de la périphérie de Meknès, objet du dernier article du dossier. Certes, cette urbanisation met bien en cause « la durabilité de l’agriculture urbaine et périurbaine à Meknès », comme l’écrivent les auteurs. Mais quelle alternative proposent-ils ?

8Quant à la libéralisation des échanges, le véritable procès à charge instruit par Najib Akesbi contre l’ensemble des politiques publiques marocaines repose sur la conviction qu’il faudrait donner la priorité absolue à la recherche du maximum d’autosuffisance alimentaire, quels qu’en soient les coûts. Il s’agit là d’un positionnement que je trouve trop dogmatique pour un économiste. En effet, la principale mission de cette discipline consiste, à mes yeux, à éclairer le débat public, non pas en militant pour une option mais en en examinant plusieurs et en montrant les avantages et inconvénients de chacune d’elles.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Michel Petit, « Alia Gana et Tahani Abdelhakim eds., Agricultures du Maghreb-Mashrek à l’épreuve de la crise alimentaire et des révolutions arabes »Études rurales [En ligne], 193 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/10082 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.10082

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